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Une science peu intégrée et peu autonome

La figure d'Alan Greenspan illustre cette image de la neutralité, en ajoutant à celle des dirigeants de la BCE celle du " pragmatisme " voire du " génie " de celui à qui les Etats-Unis devraient le " miracle " d'une croissance ininterrompue pendant plus de huit ans. En particulier, les économistes européens disent souvent envier aux Etats-Unis ce personnage charismatique, qui considèrerait même, l'hérétique, que le plein-emploi nécessite des interventions lorsque la situation l'exige. (On aimerait pouvoir en dire autant de Duisenberg ou Trichet). Là encore, il faut se demander ce que recouvre cette figure, quels en sont les ressorts sociaux.

Un livre récent intitulé l'effet Greenspan donne quelques éléments de réponse, en particulier dans un paragraphe intitulé The power of Greenspan. " Il n'a jamais occupé de position élective ou ... Il n'a jamais créé ou dirigé d'entreprise multinationale géante. Il n'a jamais ... aux Masters ou ... En fait, la profession qu'il a choisi est presque l'antithèse du pouvoir que l'on associe à un Président ou un Dictateur, le charme d'une star de cinéma, la vision courageuse d'un entrepreneur pionnier, ou les exploits sportifs d'une superstar du sport. [On tourne la page] He is an economist. Il joue dans les vignes sèches de ce que à quoi John Maynard Keynes faisait référence comme la " science lugubre ". Au milieu de ses collègues plus obscurs, il semblerait définir tout ce qui est clinique, non-sexy, raréfié et non-pertinent " (p. IX,X). Un peu plus loin : " à la différence des politiciens, Greenspan ne s'est jamais permis de distractions politiques ou de faiblesses personnelles pour interrompre son trajet choisi " (p.XI). La figure du banquier central est donc tout entière construite contre celle du politique, de son opportunisme, de sa soumission aux intérêts électoraux, de son populisme, etc. Elle renvoie à l'idée de constance, de vigilance et de sérieux, de grisaille, etc.

Pourtant, de même que toute la rhétorique de la BdF est de la politique mise sous forme euphémisée, neutralisée, en partie invisible ou déformée, toute la carrière de Greenspan est l'histoire d'une liaison étroite avec les milieux politiques et -bien sûr- financiers dirigeants. Fils d'un courtier de Washington, formé à l'université de New York puis de Columbia, il devient économiste d'entreprise, créateur de sa propre société d'études avec un spéculateur du nom de Townsend et y mène des travaux quantitatifs pour des acteurs économiques privés (connu pour sa méthode bottom-up, méthode très empiriste fondé sur l'étude exhaustive et détaillée des séries statistiques). Dès 1968, il est directeur de la recherche sur la politique domestique dans la campagne de Richard Nixon, puis conseiller de l'équipe de transition après sa victoire. En 1974, retour d'ascenseur, Nixon lui propose de devenir Chairman du Council of economic advisers, mais il refuse dans un premier temps, avant qu'un ancien camarade de Columbia, l'économiste Arthur F. Burns, réussisse à le convaincre. Heureusement pour lui, Gérald Ford le confirme dans ses fonctions après le Watergate. Il abandonne celles-ci en 1977, mais il est alors déjà devenu une star des médias et multiplie les chroniques (il est présenté comme un " fameux conseiller économique " dans une pub Apple). Il conseille Reagan et fait encore partie de son équipe de transition, mais un certain Donald Regan le devance pour le secrétariat au Trésor (ministère des finances). Dès 1983, son nom est évoqué au moment du renouvellement de Volcker (issu du camp démocrate) à la Fed et il l'obtient sans problèmes en 1987, jusqu'à aujourd'hui, c'est-à-dire durant la période d'âge d'or des marchés, avec la bénédiction répétée de Clinton.

Ce qui frappe dans le cas de Greenspan, c'est la conjonction d'un pouvoir politique énorme sur l'économie (The Greenspan effect étudie sur la base de statistiques financières les conséquences des déclarations de Greenspan et conclut à un important effet) : ce pouvoir est, en même temps, constamment dénié comme pouvoir politique. Pourtant G. est un acteur public et agit par ses mots et ses décisions (collégiales) de hausse ou de baisse des taux, ses analyses de conjoncture, etc. Maintenant, il faut se poser la question du sens de l'effet G. Pris dans les polémiques européennes, certains économistes européens veulent y voir quelqu'un qui se bat contre le chômage et pour la croissance autant que contre l'inflation. Si l'on ne regarde pas seulement les deux dernières années et qu'on se place d'un point de vue historique plus long, on s'aperçoit que la performance de l'économie américaine en matière de croissance et d'emploi (effet G. indirect) n'est pas du tout " miraculeuse ", surtout si l'on prend en compte l'augmentation généralisée du temps de travail, l'évolution " modérée " des salaires, surtout les plus bas, la précarisation généralisée et l'accroissement des contraintes sociales qui accompagnent le développement du workfare (sans parler de l'Etat pénal décrit par LW). En revanche, en matière d'inflation, le résultat est à la hauteur du discours, mais faut-il vraiment s'en féliciter vu le rythme d'augmentation des salaires ? L'effet Greenspan tel que le mesurent Sicilia et Cruiksbank est d'abord un effet direct (de court et moyen terme) sur le niveau des cours boursiers et là, la performance est stupéfiante. Quelques déclarations très médiatiques entraînent les marchés à la baisse, c'est l'effet G. de CT, mais l'ensemble de la politique monétaire et financière américaine apparaît plutôt sur l'ensemble de la période comme une politique d'entretien et de développement de l'euphorie financière. Même Alan Blinder, pourtant pas un révolutionnaire, économiste keynésien placé à la Fed par les Démocrates, a jeté l'éponge face à G. et remarque à la fin de son livre sur les banques centrales que les menaces sur l'indépendance (s'agit-il seulement de menaces) viennent maintenant des marchés financiers. Cette question n'est que rarement abordée dans les manuels. De toute façon, l'indépendance est toujours adossée à une science, la science économique.

 
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Dernière mise à jour : 14 mai 2001
Page réalisée par Christine Potier pour Attac 15ème