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Rôle des marchés financiers dans la théorie financière orthodoxe

Un trait caractéristique des économies capitalistes, que Marx soulignait dans son œuvre, est le caractère anarchique de la production marchande. Cela signifiait pour lui qu'on est dans un type d'économie dans lequel chacun produit et achète selon ses projets privés. Il n'y a aucune raison a priori pour que telle décision de production corresponde à telle décision d'achat. Il en découle que cette production a un caractère anarchique et fortement incertain : on ne sait jamais lorsqu'une entreprise produit si elle va trouver des consommateurs. Cette incertitude massive sur l'acceptation des marchandises à un prix donné, sur le choix de la technologie de production mise en œuvre par rapport aux technologies concurrentes, a une importance tout à fait spécifique dans le cœur du système qu'est l'investissement. Celui-ci cumule tous les effets d'incertitude quand une entreprise souhaite investir. Elle doit alors s'interroger sur le futur de l'économie : est-ce qu'elle va trouver des consommateurs pour ce bien-là, est-ce qu'il n'y a pas d'autres entreprises qui vont faire la même chose moins cher, est-ce que la technologie choisie est la bonne, etc ... Il y a donc une incertitude tout à fait fondamentale qui est au cœur de l'économie capitaliste et qui pose le problème théorique de ce qu'est le capitalisme, à savoir comment l'on fait face à cette incertitude. Comment fait-on pour qu'il n'y ait pas trop de gâchis de capital, c'est à dire que l'investissement finisse par trouver des débouchés ? C'est cela la question essentielle.

A cette question, la réponse de la théorie orthodoxe, celle avec laquelle je suis en conflit permanent, est tout à fait brillante : elle pense qu'il revient aux marchés financiers de résoudre ce problème. Les marchés financiers ont pour fonction, pour utilité sociale, de prévoir, de permettre à l'entrepreneur de savoir dans quelle branche il doit investir. Un exemple qui nous vient tous à l'esprit aujourd'hui est celui d'internet : les marchés financiers auraient pour fonction d'envoyer un signal aux capitalistes pour les avertir que c'est dans ce secteur qu'il faut investir parce que celui-ci est porteur, parce que c'est dans ce secteur que va se développer la demande sociale et que c'est autour de ces nouvelles technologies que vont se reconstruire les rapports sociaux et les rapports de consommation. C'est la conception de la théorie orthodoxe. Le marché financier a donc pour fonction première de prévoir. Dans cette vision, le marché est l'équivalent fonctionnel du planificateur socialiste, c'est-à-dire que c'est l'endroit qui essaie de prévoir, ou comme disait Keynes, de lutter contre l'obscurité, contre les mystères du futur et de donner les signaux dont ont besoin les investisseurs.

J'ai essayé de développer une vision alternative. Je crois que cette vision orthodoxe ne correspond pas du tout, ou en tous cas pas exactement à ce qu'est la finance, et qu'on observe un échec certain de la finance à pouvoir présenter un scénario plausible, l'exemple de la bulle internet étant significatif de la capacité des marchés financiers à se tromper en ne donnant pas une image précise et pertinente du futur.

Le deuxième trait essentiel lié à l'idée de prévision, c'est qu'il existe une valeur des entreprises basée sur leur capacité à faire des profits. En évaluant la capacité des entreprises à faire des profits dans le futur, exercice ô combien difficile lorsqu'on se projette à 10, 20 ou 30 ans, les marchés financiers leur donnent une valeur qui s'exprime dans le cours boursier. Plus cette valeur est grande et plus l'entreprise fera des profits importants parce qu'elle est dans le bon secteur, parce qu'elle a la bonne technologie, etc ... Cette deuxième caractéristique de ce noyau orthodoxe, c'est ce qu'on appelle la valeur fondamentale : à chaque entreprise correspondrait une valeur fondamentale qui serait révélée par le marché, cette dernière exprimant l'avenir de l'entreprise en question.

Ces deux traits sont constitutifs de l'orthodoxie financière. Le concept d'efficience des marchés qu'elle définit, signifie que les marchés financiers sont capables de déchiffrer l'ensemble des informations dont ils disposent de la manière la plus pertinente possible de façon à déterminer quelle est la vraie valeur des entreprises, c'est-à-dire leur capacité à faire des profits dans les 30 années à venir. Si jamais de telles prévisions étaient possibles, ce serait un atout extrêmement puissant pour le capitalisme, puisque cela lui permettrait de se réguler en arrivant à gérer cette incertitude vis-à-vis du futur.

Une autre manière de le dire, c'est de relier l'efficacité du capitalisme au phénomène concurrentiel : les économies sont efficaces s'il y a une forte concurrence parce que les liens concurrentiels permettent d'économiser et de ne pas gâcher les ressources. Ce que je voudrais montrer c'est qu'il y a une autre chose que l'efficacité concurrentielle qui est en cause : c'est l'efficacité à prévoir le futur, cette propriété-là étant essentielle dans les économies, parce que celles-ci se déploient dans le temps. Les marchés financiers ne concernent donc pas seulement la sphère de la concurrence mais aussi la sphère de la prévision, c'est-à-dire la capacité à comprendre le futur qui s'exprimerait à travers l'évaluation des entreprises et la notion d'efficience. L'efficience des marchés permettrait de disposer des bonnes informations et de fournir les bons scénarios.

 
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Dernière mise à jour : 12 novembre 2001
Page réalisée par Roland Vergnioux pour Attac 15ème