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L'orthodoxie financière à l'épreuve des faits

Pourquoi me suis-je écarté de l'orthodoxie financière ? Essentiellement pour des raisons purement factuelles et empiriques. Cette vision-là ne permet pas de comprendre ce qui se passe sur les marchés financiers. Prenons plusieurs faits.

Le premier fait concerne l'idée qu'il y aurait un lien entre les cours observés et les valeurs fondamentales. Toutes les études sur la manière dont les prix se forment montrent qu'il y a des écarts extrêmes entre les cours et ce qu'on peut penser être les valeurs fondamentales. Pensons simplement à ce qu'on constate beaucoup aujourd'hui, c'est la propriété des prix à varier énormément : les indices boursiers peuvent varier de 3, 4 à 6% par jour. Or il est très difficile d'expliquer cette forte volatilité des prix à partir du modèle que je viens de proposer, dit modèle fondamentaliste, d'après l'idée que les cours représentent les valeurs fondamentales, c'est-à-dire la capacité à faire des profits. Pourquoi ? Parce que ces valeurs fondamentales représentent des choses très inertes comme des variables de productivité qui ne varient que de 4 à 5% par an. Or on trouve des variations de cours sur ces marchés qui peuvent être de l'ordre de 5%, 10% ou 15% par jour. Il y a donc une impossibilité à rendre compte logiquement de modifications de type 15% par jour uniquement sur la base d'informations nouvelles sur des données qui ne varient de 4% par an. Il y a là un premier mystère qui me semble-t-il remet en cause de façon très directe le modèle fondamentaliste.

J'ai développé précédemment une autre idée, à savoir que, bien loin d'exprimer des valeurs fondamentales, les prix expriment une opinion majoritaire, c'est-à-dire la manière dont la communauté financière se représente la valeur des entreprises, avec tout le caractère subjectif voir psychologique que revêt l'expression. Il y a des études précises qui permettent de corroborer la profonde divergence entre cours observés et valeurs fondamentales. À partir de la connaissance des profits effectivement réalisés et des bénéfices des entreprises du siècle passé, on peut reconstituer aujourd'hui la valeur fondamentale des entreprises dans le passé et la comparer aux cours observés. On constate alors que les valeurs fondamentales évoluent très peu, alors que les cours des actions varient de façon spectaculaire. Beaucoup de travaux de ce type-là sont en cours et tendent à mettre en cause le modèle fondamentaliste.

Pour moi, qui me situe dans le courant keynésien, c'est assez simple à comprendre : pour que le modèle fondamentaliste fonctionne, il faudrait penser qu'on puisse prévoir ce qui va se passer à un an, deux ans, dix ans ... Or, aujourd'hui, on constate déjà l'extraordinaire difficulté qu'il y a à prévoir le taux de croissance de l'année prochaine. L'idée qu'il y aurait derrière le calcul des prix, des analystes financiers qui font des scénarios à 15 ou 30 ans qui puissent être valides, est pour le moins généreuse : personne ne sait rien sur ce qui va se passer dans 30 ans. L'idée d'une base objective qui permettrait de donner un sens à l'évolution des cours ne tient pas.

Ce qui est bizarre, c'est que la théorie économique retient ce type de représentation du futur. Elle suppose qu'il y a un certain nombre d'états du monde futurs, dont on connaîtrait la liste aujourd'hui, et qui seraient probabilisables, et à partir desquels on pourrait faire des prévisions sur les profits de n'importe quelle entreprise. Mais, dans la réalité des marchés financiers, ce n'est pas du tout ce qui se passe. Il me semble que c'est un premier écart important à la théorie fondamentaliste de l'efficience qui domine de loin aujourd'hui la pensée financière.

Le deuxième écart entre cette théorie et la réalité, c'est l'observation même des opérateurs sur les marchés. Si cette théorie de l'efficience était exacte, alors les investisseurs devraient se préoccuper uniquement de calculer les valeurs fondamentales et devraient en conséquence conserver leurs actions en portefeuille sur des durées longues, en fonction des nouvelles données susceptibles de modifier ces valeurs. Ce modèle nous décrit des investisseurs dont les anticipations sont polarisées sur les données objectives de l'économie, ce qu'on appelle les fondamentaux de l'économie, la productivité, les profits, etc ... Or, lorsqu'on observe les marchés financiers, c'est loin d'être le comportement majoritaire. Les acteurs s'intéressent il est vrai aux fondamentaux, mais sont aussi extraordinairement intéressés par ce que fait le marché lui-même, par ce que font leurs voisins.

De multiples enquêtes ont été effectuées à ce sujet. Je pense à un article récent où on interroge un cambiste, qui opère sur le marché de l'euro vis-à-vis du dollar, au moment de la grande baisse de l'euro en septembre 2000. La démarche du cambiste a d'abord été d'utiliser le modèle fondamentaliste, c'est à dire de calculer la vraie valeur de l'euro par rapport au dollar. A cette époque et selon ce modèle, tout le monde était à peu près d'accord pour admettre que l'euro était sous-évalué, que cette baisse était extrême par rapport au véritable potentiel européen, diagnostic partagé par ce cambiste. Si cet investisseur était fondamentaliste, il aurait acheté de l'euro. Contrairement à ce que voudrait la théorie, ce cambiste a révélé qu'il était vendeur d'euros. Il explique sa démarche par le comportement de ses voisins : « je ne vois autour de moi que des vendeurs d'euros, si j'achète des euros je vais perdre de l'argent, car les ventes massives d'euros vont faire baisser son cours par rapport au dollar ». Pour ce cambiste, il est donc rationnel d'agir, non pas selon le modèle fondamentaliste, mais en observant ce que fait le marché.

 
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Dernière mise à jour : 12 novembre 2001
Page réalisée par Roland Vergnioux pour Attac 15ème