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Une théorie alternative en accord avec la réalité des marchés financiers

Il y a un certain nombre de faits qui permettent d'invalider assez facilement le modèle fondamental comme modèle d'explication des comportements des investisseurs sur les marchés financiers. Ce que je voudrais proposer, c'est une construction théorique alternative qui permettent de s'accorder à ces faits.

Avant de commencer, je voudrais revenir sur un point important. La théorie économique a un fondement objectiviste, au sens ou les économistes classiques et néoclassiques pensent que tous les prix sont des représentations de valeurs qui existent. Que sont ces valeurs pour ces économistes ? Pour les classiques, y compris Marx, c'est le travail. Pour les néoclassiques, c'est l'utilité des biens. Dans cette conception, les individus n'ont que très peu d'autonomie puisque les rapports entre individus qui semblent être subjectifs, ne le sont pas, en raison de la rareté des ressources et l'objectivité de la production. Les individus et leurs représentations de la société n'ont donc aucun effet : les rapports d'échange sont donnés dans les valeurs.

Par opposition à cette conception, j'essaie de construire une analyse qui essaie de montrer à quel point les représentations des agents économiques ont un poids dans l'économie. Je ne crois donc pas à l'idée de valeur objective qui déterminerait les prix. Je crois que ce qui compte dans la formation des prix, ce n'est pas simplement les ressources disponibles, mais également la façon dont les individus se représentent l'économie et l'environnement économique. L'enjeu de ce que j'expose aujourd'hui sur les marchés financiers est plus large : quelle est la place des sujets dans l'économie? J'insisterai sur le rôle des représentations que se font les sujets de l'économie. Ces représentations, par opposition aux valeurs, sont un produit social qui dépend des contextes et qui demande à être historicisé.

Liquidité et spéculation

Pour en revenir aux marchés financiers, il me semble qu'ils n'ont pas pour fonction l'évaluation, contrairement à ce que dit la théorie financière. Je défendrai comme idée que le but premier des marchés financiers organisés est d'assurer la liquidité, c'est à dire rendre liquide, des titres qui ne sont, par nature, pas liquides. L'action d'une entreprise représente une part des immobilisations, c'est à dire des machines, des terrains, etc ... qui vont donner du profit, des revenus, de la valeur tout au long du processus de production. L'aspect le plus naturel d'une action, c'est d'être une immobilisation. Avoir un actif ainsi immobilisé fait courir de grands risques à son détenteur. S'il n'a aucun moyen de l'évaluer et de l'échanger, il peut se trouver dans la situation où il a besoin d'argent liquide et ne pas pouvoir transformer ses actifs. L'illiquidité des titres est un obstacle majeur à l'investissement. On en fait l'expérience lorsqu'on va à sa banque : celle-ci propose des produits qui offrent des taux d'intérêts en contrepartie de quoi on est obligé de laisser nos économies bloquées pendant une certaine durée : quand on est amené à faire ce type de geste à l'égard d'une banque, on y réfléchit à deux fois. Il y a donc un risque fort, qui est le risque d'immobilisation du capital.

Ma thèse, c'est que les marchés financiers ont été inventés pour surmonter ce risque-là, c'est- à-dire pour rendre négociables ces actifs qui sont pourtant immobilisés. Cette affirmation paraît tellement évidente qu'on n'en mesure pas le potentiel de mystères et contradictions. Celui qui analyse bien ce rôle des marchés financiers, c'est Keynes, notamment dans son ouvrage de référence de 1936, La Théorie générale. Dans le chapitre 12, il prend un exemple caricatural qui montre la virtualité de la liquidité des marchés financiers face au caractère immobilisé des entreprises. C'est comme si on demandait à un agriculteur de tapoter son baromètre le matin, et de décider d'arrêter et de vendre son exploitation parce qu'il baisse, et de la reprendre le soir si le baromètre augmente. Ce que montre Keynes, c'est la contradiction qu'il y a à rendre liquides des actifs qui ne le sont pas.

Le premier point, c'est que les marchés financiers ont été créés pour rendre négociables ces actifs immobilisés. La communauté créancière, qui s'échangeait les titres quand elle en avait besoin, a décidé, à un certain moment, d'organiser l'échange de titres sur une grande base, et a inventé les marchés financiers. Ce sont des institutions extrêmement puissantes et extrêmement réglementées, qui sont très loin d'émerger de façon spontanée, du libre jeu de la concurrence. Ces institutions sont au cœur du capital puisqu'elles ont pour rôle d'évaluer les droits de propriété en vue de les rendre négociables. La liquidité est donc une chose artificielle inventée par les hommes. Ce monde artificiel de la liquidité conduit à un certain nombre de contradictions quand on le relie au monde réel de la production auquel renvoient les titres de propriété.

Keynes a bien remarqué que lorsque l'on introduit la liquidité, on introduit la spéculation. Liquidité et spéculation sont une seule et même chose. Qu'est ce que c'est que la spéculation ? Parallèlement au comportement d'investissement qui consiste à acquérir des droits de propriété pour obtenir des dividendes sur toute la durée de vie de ce droit, il y a un comportement de spéculation qui consiste à acheter aujourd'hui pour revendre demain, ou le contraire. Pour pouvoir faire cela, il faut que l'actif soit liquide. Dans le cas ou l'actif est immobilisé, il n'existe pas de spéculation puisqu'il est impossible de le revendre. La spéculation est donc intrinsèquement lié à la liquidité, c'est à dire au fait de pouvoir acheter ou vendre les droits de propriétés.

D'où l'idée de Keynes, qui a conduit à la taxe Tobin, de dire que pour diminuer la spéculation, il faut diminuer la liquidité, c'est-à-dire rendre la négociabilité des titres la plus difficile possible. Comment cela se fait-il ? En augmentant les coûts de transaction. L'achat ou la vente de titres engendre des coûts de transaction parce qu'il ou elle passe par des intermédiaires. Keynes était beaucoup plus radical dans le sens où il pensait qu'il fallait instaurer des impôts sur ces coûts de transactions. D'ailleurs, Keynes disait en 1936, qu'une des raisons pour laquelle il y avait moins de spéculation en Angleterre qu'aux Etats-Unis venait de ce que les coûts de transaction et les taxes de la Bourse londonienne étaient plus élevés qu'à Wall Street. C'est exactement l'idée de la taxe Tobin : il s'agit de diminuer la liquidité de façon à rendre plus coûteux les achats et les ventes de titres, de telle sorte qu'à la fin, les individus seraient plus intéressés par le long terme étant donné que les gains de court terme seraient plus que compensés par les pertes engendrées par les coûts de transaction.

Le paradoxe de la liquidité

Dans mon cadre d'analyse, la liquidité est le but social, et la spéculation est le coût collectif extrêmement élevé qui permet d'atteindre ce but. Le deuxième point que ne voyait pas tout à fait Keynes, est ce que j'appelle le paradoxe de la liquidité. En effet, la liquidité reste locale, c'est à dire que chaque individu peut se débarrasser d'un titre pour en acheter un autre, mais le marché dans sa globalité ne peut pas se débarrasser du capital : sur le marché des titres, le nombre de titres est toujours constant. Cette notion de liquidité, qui au niveau local permet de calmer les nerfs de l'investisseur, n'existe pas au niveau de la communauté dans son ensemble. Celle-ci est engagée vis-à-vis du capital et elle ne peut pas se désengager des droits de propriété. C'est là que l'on constate l'artificialité de la construction de la liquidité. Il y a bien une espèce de rationalité individuelle dans la liquidité, puisque chacun peut acheter et vendre, mais il y a quelque part une irrationalité collective : le marché, dans sa totalité, ne peut pas se libérer des titres de propriété.

Ceci est particulièrement apparent au niveau des crises. Dans ces moments-là, chacun essaie de se débarrasser de ses titres, mais il ne peut le faire qu'en les vendant à quelqu'un d'autre, ce qui n'est pas possible : dans sa globalité, le marché est pris. Cela se traduit par des baisses de cours vertigineuses. Cela se traduit par d'autres phénomènes intéressants. Quelquefois les entreprises rachètent leur capital. L'autre facteur important, c'est l'activité de la banque centrale qui intervient pour remettre de la liquidité dans le système. Autrement dit, cette liquidité n'est que partielle et elle n'est pas obtenue en permanence. Les conditions pour que les marchés financiers soient liquides sont extrêmement dures.

Liquidité et caractère transgressif des marchés financiers

Troisième conséquence de cette notion de liquidité que je vous propose : le marché financier est dès le départ une transgression. Contrairement à l'idée d'efficience que j'ai présentée, qui est tout à fait belle et exemplaire, et qui véhicule l'image d'une harmonie entre le capital et la bourse, la conception du marché financier que je vous propose est celle d'une transgression du caractère immobilisé du capital. C'est une transgression qui se constitue autour de la liquidité, alors que celle-ci n'existe pas dans sa totalité. Cette transgression est voulue par la communauté financière qui décide de règles du jeu très particulières qui va leur permettre de rendre liquide des actifs qui étaient immobilisés. Dès le départ, il y a un caractère transgressif du marché financier, ce qui permet de comprendre son autonomie par rapport à l'économie réelle.

 
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Dernière mise à jour : 12 novembre 2001
Page réalisée par Roland Vergnioux pour Attac 15ème