Retour Attac Paris 15
Page précédente
format rtf | ps

A T T A C France

Paris 15e arrondissement

Q. : Je vais essayer de bousculer un peu ce que vous avez dit, parce que c'est bien d'avoir un jugement sur le marché financier, j'ai beaucoup de sympathie pour ce que vous écrivez, je suis un familier de votre œuvre, mais on est à attac donc on a un sens critique. Ce qui serait intéressant serait de nous dire, selon vous, ce qui est le plus rationnel entre les marchés financiers et les intermédiaires financiers que sont les banques? Auparavant, en tout cas en France, l'essentiel du financement des entreprises provenait des banques. Aujourd'hui le marché commence à prendre la place des banques. Qu'est-ce qui permet de dire selon vous que le marché par son estimation du prix de l'entreprise est moins rationnel qu'une banque, ou qu'un petit cénacle de banquiers qui ne voit que de loin l'entreprise, et qui n'a qu'une information relativement limitée sur l'entreprise ? Sachant qu'aujourd'hui, le marché fournit une information extrêmement détaillée qu'on n'a jamais eu auparavant sur les entreprises. C'est bien de dire que le marché est peu rationnel, c'est une autre de dire qu'il est moins rationnel que la banque.

A.O. : Notez d'ailleurs que je ne l'ai pas dit !

Q. : Vous n'êtes pas obligé !

A.O. : Non , vous avez raison, c'est une vraie question. D'abord, une remarque préliminaire. Vous avez raison sur la question de l'information. Néanmoins, vous voyez que l'information ne suffit pas. C'est ça qui est intéressant. On pense souvent en termes d'information et de transparence, mais ça dépend beaucoup des connaissances, ça dépend dans quel scénario vous mettez les informations. Concernant l'efficacité comparée des marchés financiers et des banques, je ne sais pas très bien. La myopie bancaire est au moins aussi grande que la myopie de marché. Si je formule cette théorie, c'est que la question de l'incertitude est centrale et que cette question doit affrontée d'une manière ou d'une autre. Je suis désolé.

Q. : Vous nous avez exposé votre théorie explicative sur le fonctionnement de la Bourse. Est- ce que vous avez une théorie qui permettrait de rationaliser ces bourses, donc de rapprocher ce qui se passe en Bourse de la réalité des entreprises, c'est-à-dire des valeurs fondamentales ? Est-ce que vous pensez qu'il existe un moyen de faire coordonner ces deux mondes ?

A.O. : À vrai dire, c'est très proche de la question précédente. J'ai beaucoup de mal, et j'en suis désolé, à proposer des réformes. Si j'avais une idée du type, « tenez, il faut faire ça, il faut développer tel type de procédures », j'aurai un point de vue plus normatif que celui qui est le mien. Qu'est-ce qu'on propose dans ce type de situation ? On propose toujours quelque chose qui tourne autour de l'idée de transparence, autour de ce que font actuellement les agences de notation, ou les analystes financiers. On aurait des acteurs qui pourraient se mettre en dehors du jeu, qui ne sont pas sous la pression constante de la liquidité, et donc qui pourraient former des jugements bien informés. On garde les marchés financiers organisés, mais on les organise mieux grâce à ces acteurs-là. Or le point, c'est que ça ne marche pas du tout. Les agences de notation ne parviennent pas à faire cette tâche-là. Les agents sont pris dans des représentations qui ont un caractère social et normatif. Il est impossible de s'en évader. Il y a certaines enquêtes sur les analystes financiers qui ont été faites pendant la période internet. Les analystes financiers formulent trois types d'avis : achetez, vendez, gardez. Dans la période internet, je crois qu'il y avait 1% seulement des avis qui recommandaient de vendre. On ne peut donc pas avoir confiance en les analystes financiers.

L'idée qui reste, serait de diminuer la part de la liquidité, c'est-à-dire soit diminuer la liquidité des marchés, soit faire que ces derniers aient moins d'importance. J'en arrive à cette idée-là. Les marchés sont vraiment des systèmes, et on a du mal à les appréhender. On le ressent bien dans notre incapacité quelquefois à produire des mesures critiques, parce que ce sont des systèmes. Il y a des effets de système et c'est difficile de mesurer ce qui se passe à un endroit précis. Je crois qu'il y a plutôt des possibilités qu'on passe d'un système de marchés financiers à un autre système.

Votre question me ramène à l'idée de savoir si l'on peut comparer le système de marchés financiers à d'autres systèmes. Est-ce que le système bancaire est meilleur, ou bien les fonds propres, c'est-à-dire des entreprises qui seraient beaucoup plus libres. Mais on sait déjà qu'il y a des effets pervers. Dans ce cas là, les informations deviennent non-transparentes, c'est le pouvoir du capitalisme au sens le plus traditionnel, de celui qui possède certaines entreprises, qui est en cause. Notez que si je n'ai pas de solutions, je reste cohérent avec moi-même. Je suis assez sceptique à chaque fois qu'on me propose des mesures, celles de mes collègues en particulier.

Q. : Est-ce que vous connaissez René Girard qui a travaillé plus de 30 ans sur le mimétisme comme phénomène essentiel dans une société humaine?

A.O. : Oui, oui, bien sûr. Je connais parfaitement. J'ai écrit mon premier livre, La Violence de la monnaie, qui est exactement l'utilisation des théories de René Girard.

Q. : Parce que finalement, ce que vous décrivez, c'est plus une économie du désir qu'une économie du besoin. C'est plus autour de la notion de désir, et du mimétisme qui entraîne le désir. Le désir que j'ai de votre bouteille d'eau parce que j'en suis dépourvu, donne une valeur à votre bouteille d'eau qui est peut-être sans rapport avec sa valeur réelle.

A.O. : Ce qu'il faut dire, c'est que le terme désir est un peu ambigu. Je préfère dire qu'il y a un problème de reconnaissance sociale. La question de l'existence sociale est un problème en soi, qui est un peu différent du besoin, qui signifie concrètement que ma valeur est reconnue par les autres. Au départ, j'ai été frappé par l'œuvre de Girard parce qu'il arrivait à mettre en œuvre une conception du lien social tout à fait intéressante dans cette logique mimétique et d'émergence de croyances sur la base de rivalités.

Q. : Est-ce qu'on ne pourrait pas revenir d'une manière ou d'une autre à Keynes ? Comment est qu'on pourrait revenir à une économie keynésienne ? Vous avez dit tout à l'heure que Keynes proposait de réduire la liquidité. Est-ce que réduire la liquidité, ça a à voir avec le monétarisme ?

A.O. : Non. Exactement, son idée était de réduire le caractère liquide des marchés. Son idée n'était pas du tout liée au monétarisme. Son idée, c'était que les marchés sont trop liquides, qu'on vend et qu'on achète trop, que les individus sont beaucoup trop préoccupés du lendemain, de la spéculation par rapport à l'évaluation de fond. Donc, il disait : « on va augmenter les impôts », donc l'équivalent de la taxe Tobin, et à ce moment-là, il y aura moins de spéculation à court terme, qui est pur jeu qui n'apporte rien à la société.

Q. : Est-ce qu'on ne pourrait pas revenir à plus d'Etat et à plus de régulations ?

A.O. : Vraisemblablement ... Evidemment oui. Mais qu'est-ce vous voulez dire par « est-ce qu'on pourrait » ? Est-ce qu'on devrait, vous voulez peut-être dire?

Q. : Oui, est-ce qu'on devrait ?

A.O. : Je suis bien d'accord avec vous. Mais en même temps vous vous apercevez que ce n'est pas facile. Ce mouvement est d'une telle profondeur. Ce qui m'interroge souvent, c'est pourquoi il exerce une telle fascination. Et aujourd'hui, il se développe plutôt qu'autre chose. Parce que le marché s'étant développé, l'actionnariat minoritaire s'étant vraiment développé, il semble que son pouvoir d'attraction augmente.

 
retour en haut 
site Attac
Dernière mise à jour : 12 novembre 2001
Page réalisée par Roland Vergnioux pour Attac 15ème