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Paris 15e arrondissement

Débat avec la salle

Q. : A propos de votre théorie, je n'ai pas d'explications sur les retournements, sur les changements de convention. On comprend très bien les phénomènes de bulle à partir des comportements d'imitation que vous décrivez, mais que se passe-t-il au moment du retournement ? Comment se fait-il que d'un seul coup ça change ? Ça veut dire qu'à un certain moment, il y a au moins une personne qui ne suit pas le courant ?

Ça me conduit à une deuxième question. Quand vous parlez des conventions, on comprend ça comme une sorte de peur qui explique l'unanimité entre les différents agents. Or si on réfléchit aux hypothèses de bases, l'idée c'est que chaque agent doit se distinguer par rapport aux autres pour être un cran au-dessus dans le jeu spéculaire et anticiper avant les autres l'évolution du marché. Comment concilier cette idée avec l'idée de convention partagée par tous ?

Troisième et dernière question. Vous nous avez présenté votre théorie qui est construite sur l'étude des phénomènes financiers et vous avez dit qu'elle pouvait s'appliquer à la réalité économique. Est-ce que notamment concernant la formation des prix, il n'y a pas une différence de substance entre biens et services et produits financiers ?

A.O. : Très bonnes questions. La première question est la plus simple. Concernant le retournement, l'idée de convention ne signifie pas l'autisme total. Il y a quand même des prévisions sur la progression du commerce électronique. C'est ce que j'appelais les anomalies. Ce qui a fait problème, ce n'est pas les déficits de e-Toys, c'est que cette société vendait beaucoup moins que ce que les dirigeants avaient prévu, qu'il y a eu des retards, que le modèle économique de base était très mal perçu. Le retournement est lié pour moi à l'existence d'anomalies : le scénario mirifique de croissance lié à internet s'est révélé pour partie faux. C'est en cela qu'il y a retournement.

Quand je pense aux conventions dans mon modèle, je fais souvent le parallèle avec l'idée de paradigme chez Kuhnes. Dans les révolutions scientifiques, ce paradigme correspond à l'idée que les croyances scientifiques prennent une forme de croyances collectives, comme par exemple la théorie newtonienne. Le point important, c'est que dès qu'apparaît une anomalie, il n'y a pas de brusque retournement, le système continue à persévérer même s'il y a des anomalies. Mais si celles-ci deviennent trop nombreuses, alors ça provoque un retournement. Les conditions de crise aujourd'hui proviennent uniquement de la convention financière. Si les financiers s'étaient mis d'accord sur d'autres croyances, il n'y aurait pas de crise. Les financiers croient eux-mêmes beaucoup au rôle des fondamentaux et de la croissance dans l'évaluation. C'est important, parce que je ne crois pas au fait qu'il puisse exister un cynisme social totalement partagé, c'est à dire que nous sommes pris dans des représentations et nous y croyons. On pourrait par exemple dire aujourd'hui, « changeons de convention, pensons que si ça ne croît pas beaucoup, la valeur des titres doit être élevée ». Ca serait fantastique, d'un seul coup les titres augmenteraient, les fortunes gonfleraient. Mais non. C'est ainsi que j'explique le retournement.

C'est vrai qu'on peut analyser le retournement comme un retour aux fondamentaux. Mais quand je parle de conventions, cela ne signifie pas qu'elles sont totalement arbitraires. Ca veut dire qu'elles sont liées au stock de connaissances et aux représentations des individus. Ca ne m'ennuie pas tellement qu'il y ait un effet des fondamentaux. Mais par contre, je n'interpréterais pas la baisse des prix comme un retour au niveau normal.

Sur la deuxième question, vous avez en partie raison sur le fait que le mimétisme pur n'est pas tout à fait la meilleure stratégie. La meilleure stratégie, c'est de faire les choses avant que le marché le fasse. Ca peut justifier des stratégies qu'on appellera « contrariantes », c'est à dire faire le contraire de ce que fait le marché en ce moment. C'est ce que font les investisseurs en valeur : ils achètent les valeurs les plus basses en attendant que ça monte. Néanmoins, même dans le cas d'investisseurs contrariants, cela n'enlève rien au fait que c'est toujours un type d'investisseurs qui est focalisé sur le prix de marché, mais un peu plus loin dans le temps. Ca ne change rien dans la substance du modèle auto-référentiel.

Sur les conventions à l'unanimité, il faut avoir un modèle un peu plus sophistiqué, je ne l'ai pas tout à fait. Il faut considérer qu'il y a différents niveaux de représentation. Dans le cas de la convention internet, celle-ci nous donne le scénario basique. À partir de ce scénario basique, il peut y avoir des désaccords. Il y en a qui penseront que c'est plutôt le secteur des jouets qui sera le plus concerné, d'autres que le ciment est à exclure du commerce électronique, etc. On peut penser qu'il y a en même temps, un type de scénario qui fait l'unanimité, et dans ce cadre des fluctuations.

Troisième point sur la notion de convention : je crois qu'elle est d'abord un phénomène empirique. Quand on regarde l'histoire de la finance, on voit qu'il y a des périodes de croyances, il y a eu croyance dans les conglomérats dans les années 60, 70. Ce ne sont pas des choses très difficiles à mettre en évidence. Tout le monde le sait, mais personne ne les étudie, parce qu'ils ont un modèle fondamentaliste, ils n'ont pas un modèle communicationnel, ils n'ont pas un modèle d'opinion, donc ça ne les intéresse pas.

Troisième question. Pour certains biens, le modèle que je décris fonctionnerait beaucoup moins. Mais maintenant, si on se place à un niveau un peu plus élevé, on voit que la manière dont ces conventions façonnent l'économie est forte. L'effet global est massif. Le dernier exemple en date, c'est les licences de troisième génération, dites UMTS, pour le téléphone mobile. Regardez début mars la valorisation qu'ont atteint les licences UMTS, la croyance absolument généralisée que c'était l'avenir du téléphone mobile, qu'on ne pouvait pas faire autrement. Maintenant, on est à un point où il y en a qui dise que c'est trop cher (Bouygues Télécoms), qu'il y a d'autres technologies. C'est incroyable. Pourtant, au-delà des analystes financiers, il y a des services d'études qui appartiennent aux entreprises de télécommunications, qui ont fait monter les enchères sur les licences britanniques et allemandes. C'était bien des entreprises qui étaient là pour acheter les licences. Mais leur esprit était complètement formaté dans l'idée que le téléphone mobile de troisième génération, c'était ça ou rien. Mais mettez-vous à leur place. J'ai étudié la manie des chemins de fer en 1848. Il avait à l'époque en Angleterre 20 hebdomadaires et trois quotidiens qui parlaient uniquement de chemin de fer. Quand vous êtes dans ces situations là, vous vous imaginez pouvoir dire « moi, j'ai raison et vous avez tous tort » ? Il y a une espèce de formatage des esprits par imprégnation, d'autant plus fort qu'il est validé par la théorie de l'efficience qui nous dit que le marché a toujours raison puisqu'il représente une multitude d'esprits indépendants. Donc, vous avez raison sur certains biens, mais c'est tout à fait local, et dès qu'on tombe dans les prises de positions stratégiques, alors même les biens finissent par être contaminés, parce qu'il y a des biens qui sont moins lié à internet que d'autres : faire du ciment par exemple. Regardez ce que donne la valorisation de Saint-Gobain, elle fait des profits, mais elle fait du ciment, ce n'est pas très porteur.

 
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Dernière mise à jour : 12 novembre 2001
Page réalisée par Roland Vergnioux pour Attac 15ème