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Economie > Fonctionnement

Le pouvoir de la finance

André Orléan,

Editions Odile Jacob, Paris, 1999.

synthèse rédigée par François Chesnais

Introduction

Le coeur du livre d'Orléan porte sur le fonctionnement de ces marchés et sur les conditions dans lesquelles ceux-ci assurent aux possesseurs de titres la possibilité de vendre, rendre " liquide " leurs créances et récupérer à tout moment la liberté de leurs placements . L'analyse conduit André Orléan à la conclusion que " la forme 'marché financier' n'est pas une forme neutre. La liquidité exprime la volonté d'autonomie et de domination de la finance. Elle est le produit de puissants intérêts. Elle répond à des finalités spécifiques qui ne recouvrent qu'imparfaitement celles poursuivies par les gestionnaires du capital productif. Elle a des conséquences macroéconomiques générales sur les rapports de force qui traversent la société marchande, tout particulièrement sur le rapport entre créanciers et débiteurs comme sur celui qui opposent finance et industrie " (op. cit. page 49). Ce sont là des propos qu'il est peu courant de lire par les temps qui courent. Ils nous éloignent, on le comprend, des variantes d'hétérodoxies peu enclines à analyser les rapports de domination qui structurent le capitalisme. De même, il faut accorder leur juste valeur aux prolongements politiques qu'André Orléan donne à son travail avec sa réflexion vers la fin du livre à propos de " l'individualisme patrimonial ". Il est rare d'entendre des économistes reconnaître qu'on " assiste à un dépérissement de la solidarité citoyenne au profit d'une dépendance aux autres, toujours plus abstraite et anonyme, sous l'égide des marchés (où) l'individu se définit (ou plutôt est défini par ceux-ci ?) comme un propriétaire de droits-titres dont il lui faut défendre la valeur" (page 244). C'est pourtant cette idée du lien social dont l'avènement serait hâté par l'extension des stock-options et des autres variantes de " l'épargne salariale ".

Plus l'intérêt et la qualité d'un livre sont grands, plus il invite la discussion. Ici nous avons affaire à un travail particulièrement stimulant en ce qu'il permet une lecture à partir de postulats théoriques qui ne sont pas exclusivement ceux de l'auteur. Point besoins d'adhérer à la théorie des conventions pour trouver un foisonnement d'idées qui peuvent venir s'intégrer et même porter appui à des approches théoriques autres. Après avoir exposé sa thèse en en montrant tout l'apport du point de vue d'une théorie de l'autonomie de la finance dont j'ai tiré les fils conducteurs chez Marx, je vais soutenir qu'André Orléan se laisse prendre au piège de la liquidité et finit par donner à la notion d'autonomie un contenu trop fort, presque absolu. Pour avoir hésité aussi sur cette question*, je pense que l'autonomie de la finance se situe dans des limites plus étroites par rapport à la capacité de la production capitaliste de créer effectivement de la valeur et de la plus value (ou surplus), c'est-à-dire des richesses au sens de la théorie classique (Smith, Ricardo, Marx), qu'Orléan ne semble le suggérer par moment. Son analyse des " conséquences macro-économiques générales " du pouvoir de la finance n'inclut pas, pour l'heure, d'indications suffisantes de la manière dont celles-ci se dressent contre la croissance, conduisant tôt ou tard à des situations où les données économiques fondamentales finissent par faire irruption dans l'enceinte close du marché autoréférentiel, à mettre à mal les conventions régnantes jusqu'à y provoquer les crises de confiance, voire les paniques qui déclencheront le retournement total du marché.

D'autre part, si le régime d'accumulation actuel est effectivement dominé par les investisseurs institutionnels (la figure contemporaine du capital rentier), il a aussi pour assise la libéralisation et la déréglementation des échanges et partant celles du cadre d'action des FMN. Ce régime ne résulte pas seulement de la libéralisation et de la déréglementation des marchés financiers. Le régime d'accumulation actuel est seulement à dominante financière. Il est également mondialisé. Les facteurs de différentiation et de hiérarchisation entre pays et continents sont plus décisifs que jamais, mais ils se combinent maintenant avec les relations extérieures très contraignantes auxquelles les pays sont soumis. Ces relations nouvelles sont connues sous les termes non triviaux de " globalisation " ou de "mondialisation ", chaque pays et chaque gouvernement étant sommé de les internaliser. André Orléan reconnaît implicitement la mondialisation dans ses dimensions systémiques et semble annoncer à plusieurs reprises son intention de la traiter**, mais sur ce plan il ne pousse pas son analyse très loin. Pris ensemble, la libéralisation et la déréglementation des échanges et de la finance ont engendrés des contradictions très fortes qui ont commencé à se manifester d'abord dans les pays du Sud, puisque c'est là que la fragilité financière systémique est la plus forte. Ce n'est pas le hasard que ce soit au Mexique et en Asie qu'ont eu lieu les crises qui ont le mieux illustré, jusqu'à présent, les conditions politiques, sociales et financières très particulières qui sont nécessaires pour l'existence de marchés secondaires de titres, garantissant aux " puissants intérêts " la liquidité complète dont ils tirent leur " autonomie ". Pour finir je dirai ma perplexité à propos des remarques faites en conclusion du livre sur les fonds de pension syndicaux.


* En 1994, je concluais la première édition de La mondialisation du capital, Editions Syros, 1994, en disant qu'on se trouve " face à une réaffirmation par le capital argent de son autonomie totale face au capital industriel et à l'émergence d'une situation où c'est le mouvement propre de cette fraction du capital qui tend à imprimer sa marque sur l'ensemble des opérations du capitalisme contemporain " (page 265).

** C'est le cas par exemple lorsqu'il dit qu'il veut placer au c&brkbar;ur de sa réflexion, " l'instabilité intrinsèque des mouvements de capitaux dans un univers globalisé et libéralisé, où domine la liquidité financière" (page 186). Mais il ne mène pas vraiment cette analyse à son terme.

 
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Dernière mise à jour : 14 mai 2001
Page réalisée par Christine Potier pour Attac 15ème