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La théorie de l'autonomie de la finance

La notion " d'autonomie de la finance " n'appartient pas au corpus théorique reconnu de l'économie, qu'il soit mainstream, régulationniste ou même, paradoxalement, marxiste, pour des raisons que j'expliquerai plus loin. Il paraît donc indispensable d'en préciser le sens tout de suite, au moins tel que je le comprends. L'expression ne signifie pas que la finance se situerait hors des mécanismes de la production, de l'échange et de la répartition, qu'elle échapperait aux contraintes et contradictions dont la sphère " réelle " est le terrain immédiat. Elle désigne deux caractères qui sont la particularité et le privilège de la finance en condition de fonctionnement " normal " du capitalisme*.

La première dimension de " l'autonomie " est le pouvoir que les détenteurs et les gestionnaires de patrimoines financiers acquièrent sur la base de certaines institutions propres à la finance (celles qu'André Orléan étudie), de se dresser face au capital engagé dans la production et donc également face au travail, pour exiger et imposer une participation à la répartition qui est légitimée par la seule possession patrimoniale, et dont les bénéficiaires fixent les termes eux-mêmes . La seconde dimension de " l'autonomie de la finance " est son aptitude à vivre (aussi longtemps qu'il n'y a pas krach ou dysfonctionnement sérieux des marchés financiers) dans un univers cloisonné, protégé et auto-organisé, propice à l'éclosion de toutes les magies, illusions et conceptions fétiches auxquelles des spécialistes médusés et inquiets ont donné le nom de " finance virtuelle" (Bourguinat, 1995). L'autonomie dont la finance jouit sur ce plan (de façon nécessairement passagère), repose sur des mécanismes internes de fixation des prix des titres propres aux marchés financiers. Ces mécanismes, qui sont endogènes à la liquidité, ont pour effet d'augmenter la valeur nominale des actifs ou créances en vertu de la seule volonté du marché, en dehors de tout lien avec l'état véritable des indicateurs " fondamentaux ". C'est à cette seconde dimension de l'autonomie de la finance qu'André Orléan s'intéresse tout particulièrement. C'est elle qui sous-tend les poussées " d'exubérance irrationnelle " tant déplorée par ceux auxquels il sera demandé (comme le président de la FED) de venir au secours des titulaires de créances le jour où la valeur nominale et parfaitement fictive des titres s'effondrera.

L'autonomie de la finance est donc simultanément une pesante réalité et une apparence (Marx dit qu'elle représente le degré suprême qu'atteint le fétichisme engendré par le mode de production capitaliste**). D'un côté, la finance pour prospérer doit organiser des flux continus de transfert de richesses à partir de la production ; de l'autre, sa prétention à opérer en vase clos et à fixer elle-même le prix des créances détenues est mise à mal périodiquement aux cours de crises qui représentent des irruptions de la réalité de la production, de la répartition et de la commercialisation effective dans l'enceinte fermée des marchés. Les deux dimensions sont présentes dans le travail d'André Orléan. Mais elles le sont de façon inégale, cette inégalité de traitement étant à mon sens l'une des principales sources de vulnérabilité de l'analyse dans son état actuel. La première dimension est reconnue lorsqu'il nous dit, par exemple, que " le taux de l'intérêt est la variable synthétique qui exprime l'intensité de ce rapport de forces et, par conséquent, la capacité du pouvoir créancier à s'approprier par ce biais une partie de la richesse créée par les entreprises et les salariés." (page 194)***.La seconde est traitée longuement dans le cadre de l'analyse de la liquidité et des mécanismes conduisant à " l'évaluation autoréférentielle " des marchés, qui est faite dans les chapitres II et III notamment.


* Par là j'entends une situation où le capitalisme s'est libéré de rapports sociaux et d'institutions qui le corsètent comme il en a connu entre la sortie de la Seconde guerre mondiale et la " révolution conservatrice " des années quatre-vingt, et où il n'a pas encore été touché, comme après 1929, par des krachs boursiers ou autres disfonctionnements sérieux des marchés financiers.

** Voir le Capital, livre III, début du chapitre XXIV, où Marx étudie le " capital porteur d'intérêt ", qui se valorise par " la voie raccourcie A-A', forme la plus extérieure, la plus fétichisée du rapport capitaliste (...) où nous avons de l'argent produisant de l'argent, une valeur se mettant en valeur elle-même ".

*** Orléan nous fournit quelques données qui permettent de mesurer en gros ce partage au cours de la dernière décennie, voir pages 222-225.

 
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Dernière mise à jour : 14 mai 2001
Page réalisée par Christine Potier pour Attac 15ème