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La notion d'autonomie de la finance dans l'histoire de la pensée économique

L'autonomie de la finance ayant été analysée par très peu d'auteurs, il paraît indispensable de situer le livre d'Orléan dans l'histoire de la pensée économique. C'est évidemment chez Keynes qu'on trouve la première analyse poussée de l'institution très particulière qu'est le marché boursier et de la manière dont il permet aux investisseurs financiers de ne pas avoir à donner un caractère irrévocable à leurs décisions de " mettre de l'argent dans les affaires ". André Orléan ne cache pas sa dette envers Keynes, ainsi que l'immense admiration qu'il a pour lui. Il explique minutieusement tout ce qu'il a puisé dans la Théorie générale, notamment dans le chapitre 12. Mais la relation d'Orléan à Keynes n'est pas celle du commentaire par le disciple de la pensée du maître. Elle est de l'ordre de la création théorique. Le terme liquidité au sens du livre d'Orléan, est employé par Keynes dans le chapitre 12 et aussi longuement dans le chapitre 17. Mais c'est le chapitre qui traite de la " préférence pour la liquidité " en relation avec la question de la vitesse de circulation de la monnaie, qui a été de loin le plus commenté. En l'arrimant fermement la liquidité à l'analyse du marché boursier et des mécanismes de formation des évaluations de la valeur des titres du chapitre 12, Orléan nous ouvre la voie à une compréhension nouvelle de ce pan sous-estimé sinon méconnu de la Théorie générale. Orléan prend l'ensemble des observations, souvent de simples intuitions, de Keynes sur les marchés financiers et les développe systématiquement. Orléan nous en " révèle " la portée. C'est d'un oeil nouveau que nous ouvrirons les chapitres 12 et 17, de même que c'est d'une façon nouvelle que nous verrons les marchés secondaires de titres.

Si on trouve chez Keynes une analyse poussée des comportements sur les marchés boursiers, on ne trouve pas de théorie de l'autonomie de la finance. Celle-ci est absente de la Théorie générale, ou tout au plus en latence. Avant le livre d'Orléan, la seule présentation d'une théorie de " l'autonomie de la finance ", c'est-à-dire de la finance se dressant comme une force " indépendante" face aux autres acteurs du processus économique et donc face à la société prise comme telle, se trouve chez Marx. Dans des passages très peu étudiés du livre II et surtout du livre III du Capital *, celui-ci étudie la façon dont après une phase transitoire où la finance a été subordonnée au capital industriel productif et à ses besoins exclusifs, elle se reconstitue comme force autonome. Ceci se produit au moment où " une partie du profit brut se cristallise et devient autonome sous forme d'intérêt ". Dès lors, " la classe des capitalistes financiers s'oppose au capitaliste industriel comme une catégorie particulière de capitalistes, le capital financier comme une sorte de capital autonome et enfin l'intérêt comme la forme indépendante de la plus value qui correspond à ce capital spécifique. Du point de vue qualitatif , l'intérêt est de la plus-value obtenue par la simple possession du capital (...) bien que son possesseur reste en dehors du procès de production ; l'intérêt est donc produit par du capital retranché de son procès " (Capital, III, chap. XXIII, page 39 et page 40).

Ce sont des éléments importants d'une problématique contemporaine du " capital autonome, du capital retranché de son procès " qu'André Orléan nous offre dans son livre. Marx a entrepris de développer cette problématique dans une phase encore initiale de l'accumulation financière " autonome ". Orléan construisant sur Keynes, prend le relais à un moment où celle-ci a pris une dimension immense **. Au moment où Marx écrit, les marchés secondaires de titre, y compris le marché boursier, n'étaient pas encore très développés, même à Londres. C'est sous la forme du prêt et de l'intérêt (dont le taux cependant est déjà déterminé de façon autonome par rapport au taux de profit) que le pouvoir de la finance se manifeste principalement. Orléan est confronté comme nous à des marchés secondaires de titres, notamment d'actions, très développés et c'est sur les particularités de leur fonctionnement qu'il se penche pour nous livrer la théorie moderne de l'autonomie et du pouvoir de la finance.


* Cette méconnaissance a pour origine, une lecture " productiviste " du Capital, dominé par une préoccupation pour le " développement des forces productives ", associé à l'accumulation du capital " réel " et de l'expansion du salariat dont le capitalisme serait porteur de toute éternité. Elle a pour corollaire la relégation au second rang (sinon le refus complet de prise en compte) de l'accumulation financière, source d'un parasitisme qui ne fonde aucune perspective de " progrès ". Elle a conduit l'écrasante majorité des marxistes, à faire l'impasse à peu près complètement sur la partie du livre III où est exposée la théorie de " autonomie de la finance ", avec une formulation des deux dimensions que je viens de rappeler, la première sous une forme complètement achevée, la seconde sous la forme de notes autour de la notion du " capital fictif ".


** La formation d'un " capital financier " au sens de Hilferding, issu de différentes modalités de fusion entre le capital industriel et le capital argent, notamment bancaire, n'efface pas la nécessité d'appréhender la dualité du capital, sa division " en propriété de capital extérieure au procès de production (...) et en capital engagé dans la production, capital en mouvement " (ibid. page 41, souligné dans l'original).

 
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Dernière mise à jour : 14 mai 2001
Page réalisée par Christine Potier pour Attac 15ème