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Paris 15e arrondissement

La liquidité comme base de l'autonomie

C'est sous la forme de la société par actions dont les titres sont négociables, que la " scission entre la propriété et la gestion du capital " (Keynes) ou la " propriété de capital extérieure au procès de production " (Marx) prend toute son ampleur. A leur tour, ce sont la liquidité, au sens où Orléan nous invite à utiliser ce terme, et les marchés financiers qui lui servent de support, qui autorisent cette " propriété extérieure " à prétendre dicter ses termes à ceux qui sont engagés dans la production. Sans la liquidité permise par les marchés, " l'autonomie " de la finance ", et son pouvoir n'auraient pas pu prendre les proportions que nous connaissons aujourd'hui. Telle est la thèse centrale du " Pouvoir de la finance ".

Examinons-là de plus près. Pour que la finance puisse s'ériger comme une force " autonome ", capable de se placer en situation de " surplomb " par rapport à la société et de considérer qu'elle serait en droit de régir le mouvement économique d'ensemble, une condition préalable doit avoir été satisfaite. Il faut que les détenteurs d'actifs financiers disposent d'une institution qui leur permette de (re)transformer ces créances en argent (largo sensu). Ces actifs, qui sont tout bonnement des créances sur l'activité économique future acquises en vertu du seul fait de posséder de l'argent (un " patrimoine " mobilier " liquide "), peuvent prendre la forme soit de titres de la dette publique bénéficiant de la garantie d'un Etat (la valeur de cette garantie étant elle-même l'objet de " notations " qui séparent les différents pays), soit d'obligations privées dont la garantie est déjà plus aléatoire, soit enfin d'actions dont le rendement futur relève du pari puisqu'il dépend à peu près totalement de l'évolution de l'économie.

La transformation de titres immobilisés en argent doit pouvoir se faire instantanément ou tout au moins à très court délai, dans des conditions où le vendeur n'est pas seulement assuré de trouver un acheteur mais aussi de vendre ses titres sans avoir à en négocier les conditions. En effet, la transaction peut être réalisée de façon presque instantanée, parce qu'elle se fait à un prix déterminé par le " marché " (la cotation boursière ou obligataire) que l'acheteur et le vendeur acceptent d'avance et ne vont pas songer à discuter. S'agissant du cas spécifique de la possession d'actions, Orléan explique : " Il s'agit de transformer ce qui n'est qu'un pari personnel sur des dividendes futurs en une richesse immédiate hic et nunc. Pour ce faire, il faut transformer les évaluations individuelles et subjectives en un prix accepté par tous. Autrement dit, la liquidité impose que soit produite une évaluation de référence qui dise à tous les financiers le prix auquel le titre peut être échangé. La structure sociale qui permet l'obtention d'un tel résultat est le marché financier ". Pour les investisseurs, il est déterminant que le prix des actions dont la vente leur permettra de retrouver la liquidité complète sous la forme argent, soit fixé par le jeu d'un mécanisme " objectif " qui possède le statut d'instance extérieure à chaque investisseur financier individuel dont les décisions ne seront jamais discutées. C'est la fonction de la cotation. " Annoncé publiquement, le cours a valeur de norme : c'est le prix auquel le marché accepte de vendre et d'acheter le titre considéré, au moment considéré. C'est ainsi que le titre est rendu liquide. Le marché financier, parce qu'il institue l'opinion collective comme norme de référence, produit une évaluation du titre reconnue unanimement par la communauté financière ". La liquidité n'est pas une propriété intrinsèque des titres. Il n'y a rien, en effet, qui soit " liquide " dans le capital qui est coté en bourse : " lorsque les titres de propriété sont échangés, le capital, lui, ne change pas de place ". Elle est, dit André Orléan " un pur artefact ", plus encore, " une transgression ". *

Cet " artefact " est une construction complexe faite d'un ensemble de règles tant tacites que codifiées. Orléan nous précise qu'un marché financier ne saurait exister sans un travail très poussé de codifications institutionnelles qui spécifient les intervenants, leur responsabilité respective et les modalités précises de leur intervention, la périodicité des cotations, le degré de transparence des informations concernant l'identification des donneurs d'ordre, la répression des délits d'initiés, les règles d'établissement des cours et les caractéristiques en prix et en quantités des équilibres successifs. En revanche, Orléan ne nous dit rien ou presque de la genèse, de l'enracinement dans un petit nombre de pays et plus tard de la diffusion internationale de "l'innovation institutionnelle " qu'est le marché financier organisé**. Pas plus qu'il ne rappelle le rôle joué par les Etats dans ce processus. Même si ce n'est pas le propos de son livre, quelques éléments sur ces points auraient corrigé l'impression qu'il donne à certains moments de nous parler d'une construction non pas historique mais sui generis.


* Le recours à ce terme très fort, aux connotations morales, ne s'impose pas à moins d'établir une équation entre capitalisme et investissement dans une activité industrielle. Voyons Fernand Braudel : " " Sans doute, au XIX° siècle, lorsqu'il se lance de façon spectaculaire dans l'immense nouveauté industrielle, le capitalisme paraît-il se spécialiser et l'histoire générale a tendance à présenter l'industrie comme l'aboutissement qui aurait donné au capitalisme son " vrai " visage. Est-ce si sûr ? Il me semble plutôt qu'après le premier boom du machinisme, le très haut capitalisme est revenu à l'éclectisme, à une sorte d'indivisibilité comme si l'avantage caractéristique de se trouver en ces points dominants était précisément, aujourd'hui comme au temps de Jacques C&brkbar;ur, de ne pas avoir à s'enfermer dans un seul choix. D'être éminemment adaptable, donc non spécialisé " (Civilisation matérielle , économie et capitalisme, 2. Les jeux de l'échange, Edition Références, Livre de Poche, page 448).


** Une mention, même brève, du processus historique de reconstitution de l'accumulation financière, aurait renforcé toute l'analyse. Orléan fournit quelques repères chiffrés de comparaison entre une période (milieu des années soixante-dix) où la finance n'était rien et celle où elle est devenue toute puissante. Mais il n'indique pas, même brièvement les causes, les étapes et les mécanismes de cette reconstitution d'une masse de capitaux qui ne cherchent pas à investir, mais à se placer. Il n'est pas indifférent que le processus ait eu comme point de départ le " reflux " vers le premier marché financier international de l'après-guerre de capitaux n'ayant plus trouvé à s'investir avec un taux de profit " suffisant " dans la production. Car ce sont bien les groupes industriels transnationaux américains qui ont commencé les premiers à nourrir l'accumulation financière dans le cadre du marché des euro-dollars. Voir le premier chapitre dans F. Chesnais, coord., La mondialisation financière, Editions Syros, 1996.

 
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Dernière mise à jour : 14 mai 2001
Page réalisée par Christine Potier pour Attac 15ème