Retour Attac Paris 15
précédente | suivante
Sommaire
format rtf | ps

A T T A C France

Paris 15e arrondissement

Retour Attac France
Economie > Fonctionnement

Les marchés financiers ne sont pas une construction sui generis

L'accent mis sur les mécanismes endogènes de la liquidité paraît marqué, par moments, une certaine réticence à dire à quel point les marchés et la liberté exorbitante qu'ils donnent aux investisseurs, reposent aussi sur la puissance publique -- sur l'Etat dont le service de la dette publique et des fiscalités favorables à l'épargne viennent alimenter les marchés en ressources et sur la Banque centrale dans sa fonction de prêteur en dernier ressort, d'institutions intervenant pour défendre la liquidité à la place des investisseurs lorsque le marché entame une chute. A lire certaines pages des chapitres 1 et 2, on pourrait croire que la liquidité et le marché financier seraient dotés d'une sorte d'essence sui generis, ou encore qu'ils seraient un artefact social se suffisant à lui-même. Orléan semble tellement fasciné par son objet d'étude qu'il se laisse parfois emporté par sa fascination, mettant un accent si fort sur les conditions endogènes de la liquidité qu'il nous fait oublier ce qu'il a dit à la page 49, à savoir que la liquidité "est le produit de puissants intérêts" et ceux-ci lui procurent un appui exogène politique très fort. Une lecture attentive du livre dans son ensemble permet de corriger cette impression, mais le lecteur qui s'en tiendrait à certaines pages pourrait être tenté de penser que les marchés assurent la liquidité aux investisseurs sans être aidés par quiconque. Le fait que la liquidité repose en définitive sur le prêteur en dernier ressort est introduit dans l'analyse tardivement. Il faut attendre le chapitre 3 pour apprendre qu'alors qu'en principe "la liquidité repose sur l'engagement tacite de la communauté financière à prendre en charge la totalité du capital", il n'en survient pas moins des situations périodiques où "le marché refuse de faire face à cet engagement" et où la majorité des investisseurs sur lesquels cet engagement reposait "cherche à se désengager du capital", provoquant ainsi l'effondrement du marché (page 136). La nécessité de recourir à la "garantie exogène de la puissance publique" marque les limites de l'autonomie de la finance et montre que celle-ci "ne puise pas sa force de son seul argent transformé en actions", mais de ses relations avec l'Etat ainsi que l'ensemble des institutions qui assurent au capital un domination sociale aussi stable que possible. Cette garantie exogène a évidemment fonctionné en octobre 1887 lors du début de krach à Wall Street. Mais son rôle a été réaffirmé au travers du sauvetage, puis de la socialisation forcée des pertes des caisses d'épargne privées (Savings and Loans) et plus spectaculairement encore lors de l'annonce en septembre 1998 de la défaillance possible du Hedge Fund LTCM à hauteur de 200 milliards de dollars d'engagement, plus l'équivalent des dettes de l'ensemble des pays asiatiques en crise.

Il est évidemment indispensable de poser les catégories "liquidité" et "marché financier" avec toute l'abstraction qui sied à des notions aussi importantes. Mais il est tout aussi crucial de revenir très vite à l'analyse de leurs fondements politiques et sociaux. Il faut peut-être expliquer plus vite et clairement que ne le fait André Orléan, quelles forces sociales ont permis à ces artefacts sociaux de naître et de se renforcer à partir de la fin du 19ème siècle jusqu'au krach de 1929 et à la Seconde guerre mondiale *. De même qu'il faut expliquer quelles institutions (notamment l'Etat) et quelle situation politique ont permis aux marchés financiers de resurgir progressivement dans les années soixante-dix et quatre-vingt, avant de s'étendre internationalement à la faveur de la libéralisation et la globalisation financières. Je suis sûr que cela se fera bientôt à l'occasion des travaux de recherches que le livre d'Orléan ne manquera pas d'inspirer**.


* William Lazonick et Mary O'Sullivan (voir Financial History Review, vol 4, n°1, 1997), ont montré que dans le cas des Etats-Unis, le marché boursier n'a pris son essor qu'à la fin du 19° siècle, au moment où des entrepreneurs-propriétaires individuels ayant créé et consolidés des entreprises selon une trajectoire tout à fait "schumpétérienne" ont décidé d'en tirer des gains financiers importants en vendant une partie du capital de ces firmes sous forme d'actions. Les actionnaires - ménages ou institutions financières - ont bénéficié des innovations faites avant leur acquisition de titres, mais le marché boursier du 19° n'a pas été une source importante de financement de l'investissement ou de la R-D (pas plus qu'il ne l'est aujourd'hui). On reconnaît là la situation qu'on rencontre aujourd'hui lors de la privatisation par émission d'actions en Bourse de grandes entreprises publiques de technologie avancée (télécommunication, aérospatial, etc.). En revanche, ce que la formation ou l'extension en Bourse d'un marché des entreprises permet, c'est de lancer le mouvement de concentration à très grande échelle. Ce fut le cas aux Etats-Unis entre 1890 et 1910, comme ce l'est aujourd'hui.


** Plusieurs articles dans ce numéro de "L'Année de la régulation" montrent à quel point des mesures gouvernementales et incitations fiscales ont contribué, en France bien sûr mais aussi aux Etats-Unis, à alimenter les marchés financiers en fonds. Ce sont de telles mesures qui ont aidé la liquidité de s'affermir avant que ne les mécanismes d'auto-alimentation ne prennent leur essor.

 
retour en haut
site Attac
Dernière mise à jour : 14 mai 2001
Page réalisée par Christine Potier pour Attac 15ème