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La vision critique de la relation épargne-marchés financiers chez Keynes

La liquidité offerte par les marchés financiers a toujours été justifiée par le rôle positif qu'elle aurait sur une offre d'épargne indispensable à l'investissement. La liquidité y contribuerait par son effet apaisant sur " les nerfs des investisseurs ". André Orléan fait état de l'argument, tout comme le faisait Keynes. Mais Keynes, me semble-t-il, était plus critique de l'épargne et de sa relation supposée avec l'investissement que ne l'est André Orléan. Keynes a donc proposé des formes de financement originales, dans lesquelles les détenteurs de ressources financières se verraient rémunérés pour l'emploi de ces ressources, mais niés le droit de changer tout le temps et à leur guise la composition de leurs portefeuilles. Rappelons que pour Keynes "un acte d'épargne individuelle signifie - pour ainsi dire - une décision de ne pas dîner aujourd'hui. Mais il n'implique pas une décision de commander un dîner ou une paire de chaussures une semaine ou une année plus tard" (Théorie générale, édition Payot de 1949, page 226). On sait également que l'épargne est pour lui une variable déterminée ex post. Son montant dépend du niveau de l'investissement et de l'emploi. Le niveau de l'épargne dépend aussi d'une configuration particulière de la répartition des revenus : qui conduit une partie de la population à ne pas commander de dîners, donc à épargner, parce qu'elle est gavée (théorie de la propension marginale à consommer), alors qu'à l'autre bout de l'échelle sociale, une autre connaît les privations permanentes, quand ce n'est la misère dans les formes où celle-ci est vécue à différents niveaux de développement économique et social.

Calmer les nerfs des investisseurs coûte que coûte n'est pas la préoccupation essentielle de Keynes, surtout si les marchés financiers soumettent l'économie à des risques de récessions graves à la suite de krachs boursiers. Dans un passage qui est peu commenté (même par André Orléan), Keynes se demande donc si "le seul remède radical aux crises de confiance qui affligent la vie économique moderne serait de restreindre le choix de l'individu à la seule alternative de consommer son revenu ou de s'en servir pour faire fabriquer l'article de capital qui, même avec une faible évidence, lui paraît être l'investissement le plus intéressant qui lui soit offert. Peut-être, à certaines occasions, lorsqu'il serait plus de coutume harcelé par des doutes au sujet de l'avenir, l'incertitude le conduirait à consommer plus et à investir moins. Mais on éviterait par ce moyen les répercussions désastreuses, cumulatives et presque illimitées du fait que les personnes envahies par le doute peuvent s'abstenir de dépenser leur revenu d'une façon ou d'une autre "(op.cit, page 176). La Théorie générale est un réquisitoire contre l'accumulation patrimoniale. Keynes était en faveur d'un "certain degré d'individualisme" (page 389) et donc d'inégalités. Il était raisonnable selon lui de conserver l'aiguillon de rémunérations différentes et de récompense du risque entrepreneurial lorsqu'il était authentique, mais la politique qu'il esquisse dans ce passage comme dans celui où il est question de l'euthanasie souhaitable du rentier, est de n'ouvrir aux individus ou ménages aisés que deux possibilités, celle de consommer (voir son éloge de la Fable des Abeilles de Mandeville) ou celle de recevoir une rémunération pour un investissement immobilisé.

Il est évident que dans l'état d'euphorie actuelle concernant le succès et les bienfaits de l'accumulation financière et de conjoncture politique de légitimation des patrimoines et des revenus qu'ils procurent sous forme de dividendes et d'intérêts, les positions de Keynes n'ont aucune chance d'être entendues. Elles sont aussi étrangères au contexte idéologique actuel que des mesures portant sur les façons de contrôler socialement l'usage des moyens de production. Il faudra un krach financier majeur avant que la politique esquissée par Keynes ( dont l'intention et la portée sont assez voisines de la Taxe Tobin) ait la moindre chance d'être défendue avec succès par ceux qui voudraient toujours trouver les voies d'un capitalisme "raisonnable" qui organiserait l'euthanasie des rentiers.

 
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Dernière mise à jour : 14 mai 2001
Page réalisée par Christine Potier pour Attac 15ème