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Des crises dues autant à la libéralisation des échanges qu'à celle de la finance

En mettant l'accent exclusivement sur la finance, fût-ce de façon très critique, Orlén donne une interprétation qui sous-estime les impacts macroéconomiques de la libéralisation des échanges et de l'IDE sur les pays "émergents". Il soutient à juste titre qu'un " pays qui se voit soudainement submergé par les capitaux étrangers, que ce soit sous forme d'investissement de portefeuille, de crédits bancaires ou d'émissions obligataires, verrait assurément sa monnaie s'apprécier, sa compétitivité s'amoindrir, son déficit extérieur se creuser, le prix de ses actifs augmenter et des bulles spéculatives se former ; ce qu'ont connu les économies émergentes mexicaine ou asiatiques " (page 186). Peut-on pour autant proclamer que "cela ne dépend en rien des fondamentaux "? Peut-on dire de la crise mexicaine qu'elle est un exemple d'une " causalité inversée, qui va de la finance aux fondamentaux, à travers laquelle les conventions financières se voient partiellement autoréalisées " (page 158) ? Je ne le pense pas. Les fondamentaux mexicains étaient mauvais. Ils s'étaient dégradés sous les effets de la libéralisation commerciale et de la concurrence que l'industrie mais aussi l'agriculture ont subi de la part des entreprises et de l'agro-industrie américaines, de même que sous l'effet du déficit budgétaire. Il est indiscutable que la myopie et le comportement moutonnier des investisseurs financiers -- mais surtout je crois l'absence de tout "engagement collectif" de leur part à l'égard du marché financier mexicain - ont " produit une correction dont l'ampleur a été excessive " (page 160), entraînant l'effondrement du change comme du marché financier et provoquant la récession. Mais la dévaluation du peso de Noël 1994 qui a suscité l'effondrement du marché a également été la conséquence de la libéralisation commerciale et financière. La même remarque vaut pour l'Asie du Sud-Est. Dans le cas de la Thaïlande et de la Malaisie notamment, la dégradation de la balance commerciale a été, comme au Mexique, l'un des détonateurs immédiats des crises. Dans ce processus on retrouve les conséquences de la libéralisation commerciale comme celle de la finance. La dégradation de la balance s'est faite du côté des importations aussi bien que des exportations. L'ancrage au dollar qui a été la pré-condition de la libéralisation financière*, porte une responsabilité indéniable dans la baisse des exportations. Il nous met en présence d'une contradiction dont "le pouvoir de la finance" porte la responsabilité directe. Les priorités de "l'industrie" et de la "finance" ne sont pas les mêmes. Si féroce que soit l'exploitation de la force de travail dans ces pays, celle-ci ne permet pas de compenser les effets d'un taux de change ancrée à une monnaie infiniment plus forte. Pour la Thaïlande ou l'Indonésie, exporter en Asie avec le Japon comme concurrent était une chose lorsque le dollar valait 100 yens (début 1996) et une autre lorsqu'il est monté à 140 yens (milieu 1997). La hausse des importations, de son côté, a eu trois causes : l'accroissement des achats de biens de consommation "haut de gamme" étrangers qui a suivi la prospérité factice engendrée par l'hypertrophie de la finance ; de la pénétration accrue des entreprises des pays avancés à productivité élevée ; enfin des importations de biens d'équipement et de demis produits par les sociétés transnationales. Un degré de libéralisation des échanges moindre aurait retardé les crises et en aurait certainement atténué la sévérité.

Le régime d'accumulation à dominante financière est marqué simultanément par le pouvoir de la finance et par la vulnérabilité engendrée par l'autonomie partielle et close qu'André Orléan nous aide à mieux comprendre. De ce fait, c'est de la sphère financière que vont désormais surgir, à peu près nécessairement, les causes immédiates, directes, de déclenchement des crises et des récessions économiques. Alors que le facteur "déclenchant" de la récession de 1974 s'est produit sur un marché de matières premières (le "choc pétrolier"), à l'avenir ce seront des "chocs financiers" qui joueront ce rôle. Mais face à des crises économiques aussi fortes que la crise qui a englobé une part importante de l'Asie du Sud-Est, il n'est pas possible d'attribuer à la seule finance la responsabilité de crises dont la racine se situe dans les rapports de production et de répartition, nationaux et entre pays. Une approche analytique critique complète exige qu'on en recherche les causes, non dans les seuls mécanismes de l'autonomie de la finance, mais dans les fondements du régime d'accumulation contemporain pris comme un tout. L'apport d'André Orléan permet d'espérer qu'il y contribuera, en resserrant d'avantage la définition des conditions de l'autonomie de la finance et en poussant plus loin l'analyse des contradictions et des blocages qu'elle engendre au niveau de l'investissement, de la production et de la répartition.

Les fonds salariaux échapperaient-ils à la logique des marchés ?

J'espère avoir convaincu tous les lecteurs de L'Année de la régulation, y compris et d'abord ceux qui ont des réticences face à la finance, de l'importance du livre d'Orléan et de la nécessité de le lire sans plus tarder. Reste à relever les réflexions qu'il nous livre en conclusion à propos des fonds de pension syndicaux. Dans le corps de son analyse, Orléan boucle l'un des nombreux développements consacrés à la myopie collective des marchés et au comportement moutonnier de l'ensemble des gestionnaires de fonds, en indiquant que "l'épargne collective n'apparaît pas comme un contrepoids qui viendrait limiter les engouements mimétiques du marché et son autoréférentialité. Au contraire, on peut penser qu'elle joue un rôle d'amplificateur des revirements du marché de par son suivisme " (page 229). C'est donc avec étonnement et perplexité, qu'on voit Orléan se demander au moment de conclure, si une gestion paritaire des fonds de pension en France permettrait de surmonter l'incapacité radicale de la finance d'oeuvrer dans le sens d'un développement équilibré et soutenable de l'accumulation. Il s'y prend à deux fois. Après avoir soulevé la question à la page 257 et donné de façon tout à fait claire une réponse négative, il se croit obligé d'évoquer en conclusion, alors que son livre a démontré le contraire, l'idée que des fonds salariaux pourraient se fixer l'objectif de " faire prévaloir une perspective de long terme respectueuse de la rentabilité économique et de l'emploi " (page 263). Commentaire à lire au second degré, à ne pas prendre au pied de la lettre ? Expression du "pouvoir de la finance" sur l'horizon des auteurs les plus critiques ? En tous les cas quelque chose qui brouille tout d'un coup une analyse par ailleurs si éclairante.


* La libéralisation financière s'est accompagnée de l'adoption par les pays de la région de taux de change ancrés au dollar. En effet, les investisseurs financiers ne se satisfont jamais de la seule ouverture des marchés par libéralisation financière. Avant qu'ils ne viennent se placer dans un pays il leur faut des garanties de rentabilité et de sécurité supplémentaires, qui incluent l'ancrage de la monnaie locale selon un taux de change fixe avec une grande monnaie internationale.

 
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Dernière mise à jour : 14 mai 2001
Page réalisée par Christine Potier pour Attac 15ème