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La liquidité n'a pas la même valeur à Bangkok qu'à Wall Street

Pourquoi les crises les plus graves que le régime d'accumulation mondialisé et à dominante financière a connu, se sont-elles déroulées au Mexique et en Asie du Sud-Est (et aussi à un degré moindre au Brésil, en Argentine et dans d'autres pays d'Amérique du Sud) ? Les causes doivent être cherchées dans le caractère fortement hiérarchisé de la mondialisation, dont l'architecture correspond principalement aux besoins de valorisation de capitaux concentrés appartenant aux pays avancés. André Orléan aborde certaines des causes de crise de façon lucide et combative lorsqu'il souligne que dans la responsabilité des crises mexicaine et asiatique, " c'est du côté des créanciers qu'il faut aller voir, c'est l'excès des mouvements de capitaux qu'il faut comprendre : d'abord, l'excès dans les entrées de capitaux qui conduit à un surinvestissement financier au début des années 1990, puis l'excès, tout aussi massif, dans les sorties de capitaux qui plonge les pays concernés dans une crise extrême " (page 186). On peut faire un pas de plus et expliquer les facteurs qui sous-tendent ces deux "excès". L'excès de mouvements de capitaux à l'entrée est le résultat de l'accumulation dans les pays développés de concentrations financières nées de " la capacité du pouvoir créancier de s'approprier une partie de la richesse créée par les entreprises et les salariés ". De leur côté, les "excès à la sortie" me semble tenir au caractère très sélectif de la "vraie liquidité", laquelle ne se rencontre que dans un nombre très limité de pays capitalistes situés au coeur du système financier.

Une lecture attentive du livre d'Orléan révèle que la défense de la liquidité ne se pose pas de la même manière selon qu'il s'agit de Wall Street ou d'un marché financier "émergent". Aussi bien la conviction de l'engagement "endogène" que la force des garanties exogènes y diffèrent radicalement, les deux aspects étant bien entendu liés. La liquidité dit Orléan, " repose sur l'engagement tacite de la communauté financière à prendre en charge la totalité du capital. (....) Chacun ne peut se sentir libre d'acheter ou de vendre les titres que parce qu'il sait qu'in fine le marché absorbera tous les titres émis. (...) cet engagement est d'une nature tout à fait singulière puisque personne en particulier n'est réellement engagé. (Il) n'en est pas moins réel et contraignant au sens où les investisseurs, en tant que groupe, sont absolument tenus par cet engagement. C'est ce que révèlent puissamment les crises. Il y a crise précisément parce que le marché refuse de faire face à cet engagement " (page136).

Face aux exigences d'engagement ainsi définies, force est de constater que la liquidité dans ce sens très fort, presque absolu du terme, ne se rencontrera que dans un nombre extrêmement réduit de marchés. Les marchés financiers de la plupart des pays, pas seulement du Sud mais aussi de pays comme la France, ne satisfont pas et ne satisferont jamais les conditions définies dans la citation qui vient d'être faite. L'expérience montre, qu'il s'agisse du Mexique ou des pays d'Asie du Sud-Est, que les investisseurs institutionnels nationaux ou étrangers, Hedge Funds ou fonds plus "respectables", n'ont pas montré le moindre engagement à l'égard des marchés de ces pays et qu'ils n'ont pas eu la plus petite hésitation à s'en retirer. La raison que j'en donne est que, pour les investisseurs étrangers, le retrait de leur "engagement à l'égard du marché" n'est assorti d'aucune pénalité qui les touche tant soit peu gravement. Pour eux le retrait ne signifie pas l'effondrement de la liquidité. Celle-ci continue à leur être pleinement garantie dans leur marché financier d'origine. Là son existence est une garantie pour les investisseurs au moment de s'investir à l'étranger. Elle a valeur d'aléa moral. Les investisseurs savent qu'après avoir d'abord exploité, puis ensuite ravagé par leur départ des marchés financiers subordonnés, ils peuvent tranquillement trouver refuge dans leurs bastions, là où la FED montera en ligne pour les défendre aussi longtemps qu'elle le pourra. Il ne peut y avoir "engagement à l'égard du marché" que pour autant que tous sachent que le retrait peut avoir des conséquences très sérieuses pour l'ensemble du marché comme pour les économies dont le fonctionnement en dépend le plus. Mais lorsque c'est le marché financier de la Thaïlande ou de la Malaisie que ces investisseurs fuient, ils savent que ce sont d'autres qui en paieront les conséquences, que ce soit en termes de pertes financières irréversibles, d'effondrement du crédit bancaire et surtout de récession économique par enchaînement des faillites.

Orléan reconnaît implicitement le caractère fortement hiérarchisé des marchés financiers, lorsqu'il introduit tout d'un coup la notion de "société développée", ce qui signifie a contrario qu'il y a des sociétés qui ne le sont pas, tout au moins du point de vue de la théorie de la liquidité : " Dans une société développée, la crise n'atteint que rarement de telles extrémités.(...) Si cette garantie ultime ne s'exerce que dans des phases critiques, très rares dès lors que le capitalisme s'est suffisamment développé, c'est parce que la liquidité repose également sur un processus de confiance endogène qui fait de la demande de conversion de la liquidité financière en monnaie une exception " (page 137). La demande de conversion est une exception sous cette forme "ultime" où elle signifierait (signifiera) une demande de conversion en dollars *. En revanche, elle se produit fréquemment sous la forme de conversion des titres de marchés financiers de second ou de troisième rang en devises fortes, au moment où les investisseurs se retirent de marchés financiers qu'ils jugent risqués ou vulnérables. Cette forme de "demande de conversion en monnaie" par des investisseurs qui ne se sentent aucune espèce "d'engagement à l'égard du marché" est constitutif de la fragilité systémique endémique du système financier "globalisé", notamment depuis la libéralisation et la déréglementation à marche forcée des marchés "émergents".


* Voir Marx livre III chapitre XXXII sur la demande de conversion en argent à un moment où le capital-argent se valorise principalement sous forme de crédit bancaires et de prêts

 
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Dernière mise à jour : 14 mai 2001
Page réalisée par Christine Potier pour Attac 15ème